On la dit rustique, compliquée, voire risquée. Et pourtant, ceux qui ont franchi le pas en reviennent émerveillés, parfois même un peu bouleversés. Entre clichés persistants et réalité du terrain, il est temps de faire tomber les masques. Car visiter l’Albanie n’est plus ce qu’on imaginait il y a vingt ans : elle avance, elle se transforme et surtout, elle surprend. Voici sept idées reçues qu’on entend encore trop souvent — et ce qu’on découvre vraiment quand on ose aller voir de plus près.
Cliché n°1 : les routes albanaises sont impraticables
Avouons-le : à une époque, ce n’était pas tout à fait faux. Dans les années 2000, conduire en Albanie relevait presque du rallye amateur. Les routes cabossées, la signalisation absente, les nids-de-poule à répétition… Il fallait un bon sens de l’humour et un peu de témérité.
Mais cette époque est révolue. Le pays s’est métamorphosé. Les grands axes sont impeccables, les liaisons côtières fluides et la mythique route SH8, entre Vlora et Saranda, rend facilement accessibles les joyaux qu’elle traverse :
- La plage de Palasë : c’est sur cette splendide étendue de sable blanc que, selon la légende, Jules César aurait accosté avant la bataille de Pharsale.
- Le village de Dhërmi : un bijou perché, avec ses églises et ses chapelles souvent nichées dans la montagne, surplombant une mer turquoise.
- Le château d’Himarë : ancienne cité fortifiée mêlant les architectures de ses occupants successifs — Byzantins, Vénitiens et Ottomans.
Tracée dans les années 1970 à flanc de montagne et taillée dans la roche du col de Llogara avec des moyens limités, la SH8 est longtemps apparue comme une prouesse technique, reliant en continu la Riviera albanaise et désenclavant Dhërmi et Himarë.

Bien sûr, certaines routes de montagne conservent leur caractère. Autour de Theth ou de Valbona, on emprunte encore des chemins difficiles. Mais la beauté brute du paysage compense largement le manque d’asphalte.
Cliché n°2 : l’Albanie est un coupe-gorge
Ce cliché a la vie dure. Il vient des années 1990, quand le pays sortait d’une dictature et tentait de se reconstruire. Mais en 2025, cette image n’a plus lieu d’être. L’Albanie est aujourd’hui l’un des pays les plus sûrs des Balkans.
Les chiffres le confirment :
- Selon le portail Numbeo, l’indice de criminalité de l’Albanie se situe à 45,6 en 2024 (un nombre plus bas signifiant moins de criminalité). Ce taux équivaut à celui de l’Italie (46,9), contre 55,1 pour la France.
- Le site officiel des statistiques albanaises, INSTAT, indique qu’en 2024, le nombre de délits enregistrés était de 32 653, soit une baisse de 3,5 % par rapport à l’année précédente.
- Selon plusieurs guides de voyage (Is Albania Safe), le risque de crimes violents ciblant les touristes est très faible : dans la classification touristique, l’Albanie est classée « niveau 2 » (risque modéré) avec mention que « violent crime against tourists is rare ».
À Tirana, Berat ou Gjirokastër, on se balade sans crainte, même la nuit tombée. Les vols sont rares, les agressions quasi inexistantes. Et surtout, les Albanais ont ce sens de l’accueil presque désarmant. Ils vous offrent un café, vous indiquent le chemin, vous sourient sans raison. On dit souvent qu’en Albanie, on ne rencontre pas des habitants, mais des hôtes. Ceux qui y voyagent seuls — femmes comprises — repartent avec le même sentiment : la sécurité, ici, ne se mesure pas qu’en statistiques, mais en regards bienveillants.
Bien sûr, un peu de prudence reste de mise : éviter la route de nuit, garder ses papiers sur soi. Rien de plus que le bon sens universel du voyageur. L’Albanie est sûre, mais aussi apaisante. Et c’est souvent en repartant qu’on réalise à quel point on s’y est senti bien.
Cliché n°3 : on ne peut rien comprendre, personne ne parle anglais
C’est une crainte qu’on entend souvent : « Et si je ne pouvais pas me faire comprendre ? » L’albanais est une langue fascinante, mais unique au monde, sans cousin linguistique évident. Au premier abord, cela peut dérouter.
Et pourtant… quelle surprise en arrivant ! Les jeunes Albanais parlent anglais, parfois français ou italien, avec une aisance déconcertante. D’après les données Eurobaromètre 2023, environ 65 % des moins de 35 ans déclarent parler anglais. Selon l’EF EPI de 2024 (indice évaluant le niveau d’anglais des différents pays), l’Albanie se situe au 43e rang mondial, pour une maîtrise estimée à « modérée ».
Par ailleurs, près d’un quart des 18-35 ans maîtrisent aussi l’italien — héritage des liens migratoires et culturels avec la péninsule voisine. Dans les villes côtières comme Vlora, Saranda ou Durrës, cette proportion grimpe encore, portée par le tourisme et les échanges universitaires.
Le pays s’est ouvert rapidement : l’Albanie a l’un des taux de connexion Internet les plus élevés des Balkans (près de 92 % des foyers selon l’ITU), et la génération née après les années 1990 a grandi avec Netflix, les réseaux sociaux et les voyageurs étrangers. Résultat : on trouve aujourd’hui dans les cafés ou les auberges des jeunes qui passent sans effort de l’anglais au français, puis à l’italien.
Et quand les mots manquent, on improvise. Un geste, un sourire, une application de traduction — et la conversation s’installe. Ces échanges deviennent alors des moments de complicité, pleins de bonne humeur. Combien de voyageurs racontent cette scène : un fou rire partagé avec un serveur qui apprend « merci » en français, un chauffeur de taxi à Tirana qui s’entraîne à dire « bonjour » avec un accent parfait, ou une grand-mère de Gjirokastër qui vous tend un café en répétant « bienvenu ! » d’un air ravi ?
Cliché n°4 : les hébergements sont basiques ou vétustes
Ce cliché appartient au passé. Aujourd’hui, l’Albanie sait recevoir. À Tirana, les hôtels design rivalisent d’audace avec ceux des grandes capitales européennes : façades colorées, terrasses verdoyantes, décoration minimaliste mais chaleureuse. On y trouve des adresses comme le Maritim Hotel Plaza, symbole de la modernité du centre-ville, ou des boutique-hôtels à Blloku, quartier branché de la capitale.
Sur la Riviera, les guesthouses familiales volent la vedette aux grandes chaînes. À Dhërmi, Himarë ou Qeparo, les maisons d’hôtes se multiplient : certaines sont installées dans d’anciennes bâtisses de pierre restaurées avec goût, d’autres en bord de mer, les pieds dans l’eau. Selon la World Tourism Organization en 2024, plus de 40 % de la capacité d’hébergement albanaise est aujourd’hui constituée de structures familiales, souvent tenues par des jeunes revenus de l’étranger avec une vision moderne de l’accueil.
Dans le nord, l’expérience se fait plus intime encore. On loge dans une kulla, ces maisons-forteresses typiques des Alpes albanaises, souvent vieilles de plusieurs siècles. Certaines, comme celles de Theth ou Valbona, ont été restaurées avec le soutien de l’UNESCO et de programmes de tourisme durable. Les hôtes vous accueillent comme de vieux amis, autour d’un feu de cheminée et d’un verre de raki artisanal. Confort simple, authenticité totale — et toujours ce sens profond du partage.
L’offre s’est diversifiée, les prix restent abordables (souvent 30 à 60 € la nuit pour des chambres de charme) et le rapport qualité-expérience est l’un des meilleurs d’Europe selon Booking.com et Lonely Planet 2024, qui classent l’Albanie parmi les « destinations au meilleur rapport authenticité/prix ».
Cliché n°5 : à part les plages, il n’y a rien à voir
Détrompez-vous. Derrière son littoral, le pays cache des trésors de montagnes, de cités antiques et de villages classés.
Les Alpes albanaises

Les Albanais les appellent aussi Bjeshkët e Namuna (les « montagnes maudites »). C’est un massif calcaire avec des pics dépassant les 2 500 mètres d’altitude — dont le Maja Jezercë (2 694 m), deuxième plus haut sommet des Balkans. Les paysages y sont sublimes :
- Vallées profondes, creusées par les rivières glaciales comme la Valbona ou la Shala ;
- Forêts de pins noirs, prairies d’altitude et alpages fleuris ;
- Lacs turquoise et cascades vertigineuses, comme celle de Grunas à Theth.
Theth et Valbona, les deux joyaux du Nord
Ce sont les deux villages emblématiques du nord du pays, véritables portes d’entrée des Alpes albanaises.
- Theth, au cœur du parc national du même nom, séduit par ses maisons de pierre, son église isolée au milieu des champs et sa tour de la Vendetta (Kulla e Ngujimit).
- Valbona, plus à l’est, s’étire le long d’une vallée spectaculaire bordée de pics enneigés.
Le sentier reliant Theth à Valbona est aujourd’hui l’un des itinéraires de trek les plus célèbres d’Europe du Sud. Il traverse des cols à plus de 1 800 mètres, des cascades et des forêts de pins noirs.
Les sites archéologiques de Butrint et Apollonia
Direction le sud du pays pour découvrir deux hauts lieux du patrimoine historique albanais.
À Butrint, les ruines grecques, romaines, byzantines et vénitiennes se succèdent dans un décor de lagune et de forêts méditerranéennes. Le théâtre antique, les bains romains et les mosaïques

paléochrétiennes témoignent d’un passé fastueux. Plus au nord, Apollonia, fondée par les Corinthiens au VIᵉ siècle av. J.-C., a été un centre intellectuel majeur de l’Empire romain. Ses colonnes corinthiennes, son bouleuterion et les vestiges de son monastère médiéval évoquent la grandeur d’une cité disparue, aujourd’hui enveloppée de collines d’oliviers.
Tirana
En trente ans, la capitale albanaise s’est métamorphosée. Sous l’impulsion de l’ancien maire et artiste Edi Rama, les façades ternes ont été repeintes de couleurs vives, symbole d’une renaissance urbaine et culturelle.
Le quartier du Blloku, jadis réservé à la nomenklatura communiste, est devenu le cœur branché de la ville : cafés design, galeries d’art, bars sur les toits avec vue sur le mont Dajti.

Pazari i Ri a été rénové en 2017. Ce quartier incarne à la fois le cœur gastronomique de la ville et son renouveau urbain.
Berat et Gjirokastër
Berat, la ville aux mille fenêtres, séduit par ses maisons ottomanes blanches, son château habité et son atmosphère paisible. Elle incarne une Albanie authentique et lumineuse, où histoire, architecture et douceur de vivre se mêlent harmonieusement.
Gjirokastër fascine par son architecture de pierre et son château majestueux dominant la vallée du Drino. Ses ruelles escarpées, ses maisons fortifiées et son ambiance intemporelle en font une ville-musée vivante, empreinte d’histoire et d’élégance ottomane.

Cliché n°6 : visiter l’Albanie, c’est réservé aux aventuriers
Longtemps, c’était vrai. L’Albanie attirait surtout les baroudeurs, ceux qui cherchaient la liberté, loin des circuits balisés et du tourisme de masse. Mais aujourd’hui, le pays s’adresse à tous les voyageurs, quel que soit leur style.
Les familles y trouvent la douceur des plages calmes et la convivialité des repas partagés. Sur la Riviera albanaise, autour de Himarë, Dhërmi ou Ksamil, les eaux peu profondes et les hébergements familiaux rendent les vacances avec enfants accessibles.

Les couples y goûtent la lenteur d’un dîner au bord de l’eau, le charme d’une balade dans Berat ou Korçë, main dans la main. Ces deux villes, riches de leur patrimoine ottoman et de leurs ruelles fleuries, conviennent aux escapades romantiques. À Korçë, on flâne entre les brasseries artisanales et les cafés de style européen. À Berat, on contemple le coucher du soleil depuis la citadelle, au-dessus de la rivière Osum.
Les voyageurs seniors, eux, apprécient les distances courtes, les routes désormais bien entretenues et la gentillesse des habitants. L’Albanie se découvre sans précipitation : on prend le temps de converser et de se laisser porter par le rythme tranquille du pays.
Et pour les plus actifs, les options sont innombrables :
- Parapente depuis le col de Llogara, au-dessus de la mer Ionienne, pour une vue spectaculaire sur la côte ;
- Kayak sur la Vjosa, l’une des dernières grandes rivières sauvages d’Europe, désormais protégée en tant que parc national ;
- Canyoning dans les gorges d’Osum, où les falaises calcaires plongent dans une eau émeraude ;
- Randonnée ou VTT dans les Alpes albanaises, entre Theth et Valbona ;
- Plongée autour de la péninsule de Karaburun, à la découverte d’épaves et de grottes sous-marines.
Mais ici, l’aventure se vit sans stress. Les infrastructures touristiques se sont améliorées. Les guides locaux sont formés et passionnés, et la nature reste préservée. L’Albanie a trouvé un équilibre rare : une destination encore authentique, mais accueillante. Pas besoin d’être Indiana Jones pour l’aimer — il suffit d’avoir soif de vrai.
Cliché n°7 : l’Albanie n’est pas encore prête pour le tourisme
Ah, celui-là… c’est le dernier rempart des indécis. Et pourtant, rien n’est plus faux. Ces dernières années, l’Albanie a connu une véritable métamorphose en matière d’infrastructures et d’accueil touristique.
Des infrastructures de transport en net progrès
Les routes ont été largement modernisées : selon le Ministère albanais des Infrastructures et de l’Énergie (rapport 2024), plus de 1 200 km de routes nationales ont été rénovés ou reconstruites depuis 2015, dont la route côtière SH8 et les axes reliant Tirana, Shkodër, Durrës et Saranda. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du programme national d’interconnexion régionale soutenu par l’Union européenne.
Les aéroports suivent la même dynamique. L’aéroport international de Tirana Nënë Tereza a accueilli 10 millions de passagers en 2024, soit une hausse de 35 % en un an (source : Tirana International Airport Annual Report, 2024). Deux nouveaux aéroports viennent compléter cette montée en puissance :
- celui de Kukës, inauguré en 2021 pour desservir le nord du pays
- et celui de Vlora, dont l’ouverture est prévue en 2025, financé par un consortium albano-koweïtien
Des projets ambitieux pour développer l’accueil des touristes
À Tirana, la transformation urbaine saute aux yeux. Sous l’impulsion du maire Erion Veliaj, la capitale a investi dans des zones piétonnes, pistes cyclables et transports écologiques. Le projet Green Tirana 2030 prévoit que 30 % de la ville soit dédiée à des espaces verts d’ici 2030. La capitale prend ainsi des airs de petite métropole méditerranéenne, dynamique et conviviale.
Sur la Riviera albanaise, la croissance touristique s’accompagne d’un effort de régulation. L’État a introduit en 2023 un plan de développement durable visant à limiter les constructions non autorisées et à favoriser les éco-hébergements. Des zones comme Himarë, Qeparo et Dhërmi bénéficient désormais de subventions pour restaurer les maisons traditionnelles et soutenir un tourisme responsable.
Côté hébergement, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, l’Albanie comptait plus de 5 500 établissements enregistrés, dont près de 45 % gérés par des familles locales.
À peine sorti de cinquante ans d’isolement, ce petit pays des balkans a très vite rattrapé son retard. Pour le plus grand bonheur des voyageurs en quête d’authenticité, elle peut désormais se révéler telle qu’elle est : un pays doté d’un patrimoine riche et d’une nature sublime. Ajoutez à cela que les Albanais sont réputés pour leur hospitalité. Quelle bonne raison vous reste-t-il pour ne pas visiter l’Albanie ? Et si pensez à prolonger votre séjour en Europe du sud-est, lisez cet article sur la Roumanie.

